Que dire...à quelqu'un qui est trempé, décoiffé par le vent, et dont le parapluie retourné se répand lamentablement sur le linoléum de la cabine

Publié le par Xavier Malbreil

 Oh! Ne me dites pas que vous êtes tombé à l'eau, je ne vous croirai pas. C'est plutôt l'eau qui vous est tombée dessus, n'est-ce pas? En fines gouttelettes descendant d'un nuage, et nombreuses, et serrées, et si violentes que le trottoir en a résonné bruyamment. Prête-t-on l'oreille, et l'on entendra une longue plainte stridente, que nous pourrions transcrire comme un long « i » chuinté, chanté, lancinant. Mais cela ne serait pas suffisant pour décrire vraiment le bruit que font ces dizaines, ces millions de gouttes d'eau. Parce que à côté du « i » il y a une autre voyelle, qui ferait comme le hululement d'une chouette, et qui atténuerait en quelque sorte la tonalité trop limpide et trop stridente de ce « i ». Cette seconde voyelle serait un « u » évidemment, et nous plongerait dans les sous-bois profonds, mystérieux, dans lesquels l'eau s'introduit afin de tout fertiliser.
Je ne suis pas sûr pour autant de bien définir ce phénomène qui vous a transformé en serpillière. Parce qu'à côté de ce « i » et de ce « u », qui seraient bancals si on les laissait tout seuls, il me semble qu'un élément structurant comme une consonne pourrait apporter son aide. Et quoi de plus structurant qu'un « p »? P comme père, comme poutre, comme pile! Enfin, pour vraiment rendre compte de cette dimension très liquide, de l'eau projetée sur le sol, qui ensuite se réunit en ruisselets, et dévale tout au long de la rue de Crimée, je ne vois que le « l », le « l » qui coule dans la bouche, et qui arrondit tous les angles, et chante dans les oreilles. Enfin, si dans un dernier effort nous réunissons toutes ces lettres, nous pourrions former « i-u-p-l »?
Mais est-ce que cela rendrait vraiment bien compte de cette explosion d'eau qui a transformé votre journée en une pataugeoire? « L-i-u-p » ne serait-il pas mieux? Ou pourquoi pas «p-l-u-i »? tout simplement. Et comme vous êtes vraiment, mais vraiment trempé, je crois qu'il faut rajouter un « e » qui allonge ce mot sinon trop court, et le prolonge longtemps, longtemps, comme un rhume qui n'en finit pas. Le mot n'est-il pas beau à présent? Et ne dépeint-il pas fidèlement cette eau qui tombe du ciel? « P-l-u-i-e »! « P-l-u-i-e »! Ah certains jours, on peut dire que la vie est belle, quand les lettres de l'alphabet, ces petites fourmis pleines de bonnes intentions, nous permettent de si bien rendre compte des phénomènes de la nature.

Publié dans Temps

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