Que dire à quelqu'un qui tient un gros chien en laisse?
Dites-moi, quelles canines il a votre toutou! Toutes blanches, bien pointues, et saines avec ça! Il doit avoir un bon dentiste. Et puis quelles belles oreilles! Je peux en mordre une? Dites? Rien qu'une. Parce que, voyez-vous, moi aussi j'ai envie d'être mordu. Oui, oui, ne faites pas ces yeux-là, j'ai envie qu'une bête, à défaut d'un être humain, me fasse deux petits trous dans la chair. Il faut me comprendre : ma femme me mordait; mes employés me mordaient. Ma femme m'a quitté, et j'ai fermé le restaurant. Sans elle, cela n'avait plus aucun intérêt.
Depuis lors, plus personne pour me surprendre au petit matin, en me transperçant le haut de la cuisse. Plus de marmitons et de gâte-sauces pour me sauter à la gorge en réclamant une hausse de salaire. Mon corps était recouvert d'équimoses, mais j'étais heureux. Regardez-moi : croiriez-vous que tous, spontanément, voulaient croquer dans le gras de mes bras. Il fallait que je sois diantrement appétissant, non? Même mes débiteurs se gardaient bien d'envoyer les huissiers. Ils préféraient, et de loin, venir dans ma cuisine aboyer leurs impayés, et mordiller leurs recommandés.
Hélas, tous ces malheurs m'ont fait maigrir. J'ai dépéri. Plus personne ne veut me mordre. Je suis devenu complètement ordinaire, banal, commun. C'est un cercle vicieux. Peut-être qu'une morsure me rendrait mon ancienne vie. Vous ne voulez pas que j'essaie d'en convaincre votre molosse? Oh, ces oreilles, vite, il m'en faut un petit bout. Alors, moquette à quatre pattes, tu as peur? Tu veux te battre?